On distingue l’escroquerie, l’infraction de faux, l’altération de la vérité sur support, et l’usage de faux. Dans un arrêt du 9 septembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation revient sur la question du cumul qualifications. Cette question se pose lorsqu’un même fait matériel est susceptible de faire l’objet de plusieurs qualifications
Le principe qui gouverne est celui du non-cumul des qualifications, selon la formule Ne bis in idem. Pourtant, la Cour admet que ce principe ne s’oppose pas à ce qu’une même action puisse être constitutive de plusieurs faits distincts. Dans ce cas il y a donc de qualifications multiples. Cette décision vient nourrir la jurisprudence du concours réel de qualifications, par opposition au concours idéal.
Comment analyser une situation dans laquelle plusieurs faits matériels sont indissociables d’une seule intention coupable ? Doit-on l’envisager sous un angle unique ou peut-on morceler les faits ? Le fait de faire un faux peut-il être analysé distinctement de celui d’en faire usage ?
Refus du cumul des qualifications
Le principe selon lequel un même fait ne peut recevoir plusieurs qualifications est constant en jurisprudence. Pourtant, les juges semblent distinguer les hypothèses de concours idéal et de concours réel de qualifications.
Principe de Ne bis in idem
Le principe ne bis in idem prévoit qu’un fait matériel ne peut se voir appliquer qu’une seule qualification pénale. Ce principe est rappelé par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il est réaffirmé dans un arrêt rendu le 26 octobre 2016.
Lorsque des faits procèdent d’une même action et d’une seule intention coupable, alors ils donnent lieu à une qualification pénale. Selon les juges, cela ne peut être autrement.
Dans cette affaire, on se pose la question de savoir si le fait de fabriquer un faux et le fait de l’utiliser pour exercer des manœuvres frauduleuses, doivent être analysés comme des faits répondant à une seule et même intention. Forment-ils une action unique, créant un concours idéal de qualifications ?
Non-cumul des qualifications, une jurisprudence contradictoire
En 1960, la cour retient un cumul de qualifications dans une hypothèse où un fait matériel unique avait atteint des biens différents. Selon les juges, le principe de non-cumul des qualifications ne justifie pas à lui seul que des faits ne peuvent donner lieu à deux déclarations de culpabilité de nature pénale concomitantes.
Pourtant, en 2019, le chambre criminelle rejette le cumul de qualifications. Elle prend cette décision sans considérer que la même infraction ait pu porter des préjudices à des biens juridiques différents. On observe ainsi une contradiction dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle adopte tantôt une vision globale de la situation, tantôt une vision fractionnée de l’action du prévenu.
Deux qualifications pénales concomitantes
L’analyse des faits permet de déterminer s’il faut raisonner au titre d’une action unique caractérisée par une seule infraction, ou bien s’il faut adopter une vision fractionnée du comportement. Dans cette hypothèse, des faits matériels distincts justifient un concours réel de qualifications distinctes.
Vision fractionnée du comportement
Dans l’affaire concernée, une infirmière libérale est condamnée pour escroquerie, faux et usage, après avoir obtenu le remboursement de prestations fictives pour un montant global d’1 million d’euros. Le pourvoi est fondé sur la violation de la règle ne bis in idem.
En son application, la fabrication et l’usage de fausses ordonnances ne sauraient fonder à la fois la qualification de l’infraction de faux et de celle d’escroquerie.
Or, la Cour de cassation procède ici à une analyse fractionnée du comportement de l’accusée. Elle distingue le fait matériel de fabrication du faux et le fait matériel d’usage du faux constitutif des manœuvres frauduleuses de l’escroquerie. En effet, il s’agit de deux actions différentes, au sens physique du terme. L’altération du support se distingue ainsi de son usage.
Concours de deux infractions, deux faits matériels
En présence de deux faits matériels distincts, les infractions doivent être regardées comme entrant en concours réel. Ainsi, le cumul de qualifications est admis, car les faits matériels sont distincts. En l’espèce, la Cour constate que les juges du fond se fondent sur l’utilisation de la carte vitale du patient pour caractériser l’escroquerie.
L’infirmière réalise ainsi une facturation de soins fictifs et une manœuvre frauduleuse. Le délit de réalisation de faux est fondé sur des faits de falsification d’ordonnances. L’escroquerie est fondée sur l’utilisation desdits documents à des fins de facturation fictive. Il en résulte que la qualification de chaque infraction repose sur deux faits matériels différents et qu’on admet ainsi le cumul des qualifications de faux et d’escroquerie.