Face à l’épidémie du Covid-19, le Conseil d’Etat a été fortement sollicité ces derniers jours. Alors que les débats prennent de l’ampleur sur la production de masques, les mesures de dépistages, et la prescription de l’hydroxychloroquine, la Haute juridiction administrative a rendu le 28 mars dernier une ordonnance de référé qui tranche sur ces sujets brûlants.
Le contexte législatif et réglementaire
L’apparition sur le territoire français du Covid-19 a conduit le législateur et l’exécutif à agir. Un dispositif d’état d’urgence sanitaire a été mis en place par l’adoption de la Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020. Ce dispositif permet au Gouvernement de prendre des mesures restrictives des libertés pour lutter contre le virus : interdictions de sorties du domicile, fermeture d’établissements recevant du public, interdictions des rassemblements sur la voie publique, contrôle des prix de certains produits, réquisitions de masques FFP2 et FFP3, etc.
Néanmoins, au fur et à mesure que la crise sanitaire avance, le manque de masques et de de tests de dépistage sont dénoncés. Par ailleurs, du côté de la population, tous les espoirs se tournent vers un nouveau traitement à base d’hydroxychloroquine associé à l’azithromycine, depuis la publication d’une étude de l’IHU de Marseille.
Les moyens invoqués par les requérants
Dans ce contexte, le Conseil d’Etat a été saisi par des syndicats de soignants dont le SMAER (Syndicat des médecins Aix et région) sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de Justice Administrative relatif au référé-liberté. Les syndicats exigent que soient fournis des masques FFP2 et FFP3 aux médecins et professionnels de santé, que des dépistages soient effectués en masse, et que les médecins de ville et les hôpitaux puissent être autorisés à prescrire et à administrer de l’hydroxychloroquine aux patients atteints du Covid-19 (considérant 6).
Pour que le Conseil d’Etat enjoigne la puissance publique de prendre ces mesures, les requérants devaient justifier d’une urgence, et d’une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales qui résulterait soit de l’action soit de la carence de la puissance publique.
Les requérants ont soutenu d’une part que la condition d’urgence était remplie en raison de la très forte contagiosité du virus et du risque de mortalité élevé. Ils estiment d‘autre part que l’insuffisance des mesures prises par l’Etat porte atteinte de manière grave et manifestement illégale au droit à la vie, au droit de ne pas se soumettre à des traitements dégradants voire inhumains, au droit à la santé, au droit de bénéficier des traitements et des soins les plus appropriés à son état de santé, aux libertés d’entreprendre et du commerce, et enfin, au principe de précaution.
Les mesures prises par l’Etat ont-elles été suffisantes ? Une carence de l’Etat portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales peut-elle être caractérisée ?
Les motifs de l’ordonnance du Conseil d’Etat
1. Sur la production, la gestion et la fourniture de masques
Le Conseil d’Etat souligne que des mesures visant à renforcer la production et l’importation de masques ont été prises, et que les décrets du 3 et 13 mars ainsi que du 23 mars permettent déjà des réquisitions de masques. En outre, le Conseil d’Etat fait état de la signature annoncée le 21 mars de plusieurs commandes de masques et de la distribution gratuite de masques aux professionnels de santé dans le cadre de l’arrêté du 23 mars.
Si les juges reconnaissent que la dotation de masques n’est pas suffisante, aucune carence caractérisée ne saurait être reprochée à l’Etat selon eux (considérants 7 à 10).
2. Sur la pratique massive de dépistage
Le Conseil d’Etat rappelle que « les autorités ont pris les dispositions avec l’ensemble des industriels en France et à l’étranger pour augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais ». Malgré la disponibilité insuffisante des matériels nécessaire pour les tests, les juges rejettent les demandes d’injonction des requérants. (considérant 11)
3. Sur l’autorisation de l’hydroxychloroquine
Le Conseil d’Etat note qu’un décret a été pris le 25 mars autorisant le traitement de l’hydroxychloroquine dans les établissements de santé aux patients atteints du Covid-19 à un stade avancé, après avis du Haut conseil de la santé du 23 mars et sur le fondement de l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique. Aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales n’a donc été caractérisée (considérants 12 à 20).
Le rejet des demandes d’injonctions
Par ces motifs, le Conseil d’Etat a rejeté les demandes d’injonction formulées par les requérants.