Le contrat de licence de logiciel prévoit que le propriétaire d’un programme informatique loue aux tiers l’utilisation de son soft. Il n’opère pas de cession. Ainsi, l’éditeur du logiciel en reste propriétaire et en loue l’usage à des entreprises ou des personnes physiques. Dans le cadre de ce contrat, l’utilisateur reçoit l’interdiction de modifier le logiciel ou d’en réaliser une copie.
Le logiciel est-il protégé par le droit d’auteur et sa violation peut-elle faire l’objet d’une action en contrefaçon ? C’est la question qui a été posée à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Les juges français considèrent que la violation d’une licence de logiciel doit faire l’objet d’une action en responsabilité contractuelle. Cependant, la Cour de justice semble vouloir bousculer cette jurisprudence. Elle retient qu’une action en contrefaçon est recevable pour la violation contractuelle portant sur les droits de propriété intellectuelle. Une décision qui soulève de nombreuses questions et représente de nouveaux enjeux juridiques.
Manquement au contrat de logiciel et conflit de normes
Dans un contrat de licence, ITDevelopment consent à la société Free Mobile l’utilisation et la maintenance d’un logiciel de gestion. Les termes de l’engagement rappellent que le client a l’interdiction de reproduire ledit logiciel, de le modifier pour créer une nouvelle version. Constatant que ce client contrevient à son engagement, l’éditeur intente une action en contrefaçon de logiciel. Il demande l’indemnisation de son préjudice.
En 2017, le Tribunal de grande instance de Paris déboute l’éditeur de son action. Selon les juges, les faits reprochés sont des manquements au contrat de licence. Seule la responsabilité contractuelle peut alors être engagée. En appel, la Cour décide de surseoir à statuer et soumettre cette question à la CJUE.
En principe, dès lors qu’un contrat lie les parties et que le dommage subi résulte d’une violation dans l’exécution de celui-ci, c’est la responsabilité contractuelle de droit commun qui est engagée. Comment alors considérer que la violation des termes d’un contrat de licence de logiciel puisse-t-elle constituer une contrefaçon ? C’est-à-dire un délit d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle ?
Recevabilité de l’action en contrefaçon pour une violation de licence de logiciel
Contre toute attente, dans son arrêt du 18 décembre 2019, la Cour européenne consacre la possibilité de recourir aux règles de la contrefaçon.
Nous sommes en présence de la violation d’une clause d’un contrat de licence de logiciel portant sur les droits de propriété intellectuelle du titulaire. Les juges européens estiment cela relève de la notion d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle au sens de la directive 2004/48. Aussi, le titulaire du logiciel doit pouvoir bénéficier de la protection et des garanties accordées par cette directive. Elle s’applique à toutes atteintes, même s’il s’agit d’un manquement à une clause contractuelle.
Appliquée au logiciel, la contrefaçon se définit comme la violation des droits reconnus à son auteur. Et ce, tels qu’ils sont prévus par l’article L122-6 du Code de la propriété intellectuelle. L’action en contrefaçon est donc l’un des moyens à disposition de l’éditeur de logiciel. Cette possibilité est offerte que l’atteinte ait pour origine une violation contractuelle ou un autre comportement. Il peut donc librement choisir d’agir en contrefaçon ou en responsabilité contractuelle.
Application du régime de la contrefaçon et enjeux juridiques
Classiquement, les juges considèrent que le régime contractuel s’impose. Pourtant, selon la CJUE, le fait de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence n’est pas seulement une violation contractuelle, mais constitue de manière exclusive un acte de contrefaçon. Ce faisant, la Cour de justice remet de ce fait en cause de manière profonde la pratique contractuelle des licences de logiciel. Cela soulève de nouveaux enjeux en matière de régime juridique applicable. Quelle compétence juridictionnelle, quel régime de la preuve et quelle application des éventuelles clauses limitatives de responsabilité ?
En excluant l’application du régime de droit commun, la CJUE tend à consacrer la compétence exclusive du Tribunal judiciaire sur ces questions. Pourtant, jusqu’alors le Tribunal de commerce pouvait connaître de ce type d’action fondée sur la responsabilité contractuelle, si aucun moyen n’invoquait les règles spécifiques à la propriété intellectuelle. Désormais, le Tribunal de commerce ne saurait être compétent en matière de violation de licence de logiciel.
De même, concernant la compétence territoriale, seule la juridiction du lieu où demeure le défendeur ou du lieu du fait dommageable serait retenue. En effet, si la responsabilité contractuelle est exclue, le demandeur ne peut plus se fonder sur l’article 46 du Code de procédure civile pour opter pour la juridiction du lieu de l’exécution de la prestation de service.
Enfin, cette décision pose la question de l’insécurité contractuelle. Que devient la clause limitative de responsabilité ? Celle-ci peut être négociée entre les parties afin de discuter du montant de l’indemnisation en cas de non-respect de l’engagement. Que devient-elle si on considère que la responsabilité contractuelle s’efface devant l’action en contrefaçon ?