Au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l’homme figure le droit de propriété. Protégé par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, le droit de propriété est un droit « inviolable et sacré » dont « nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Ce texte reconnaît ainsi une limite au droit de propriété justifié par l’intérêt général dans le cas de l’expropriation. Cependant, d’autres limites au caractère absolu du droit de propriété ont été posées notamment par la doctrine et la jurisprudence. Celles-ci ont ainsi élaboré un régime consacré aux troubles anormaux de voisinage, qui vise à protéger des droits de propriété qui se font concurrence.
La reconnaissance du caractère abusif de l’usage du droit de propriété
La doctrine relative aux troubles anormaux de voisinage s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence consacrée à l’usage abusif du droit de propriété. L’usage abusif du droit de propriété a été reconnu dans l’arrêt Clément-Bayard rendu par la chambre des requêtes le 3 août 1915.
En l’espèce, le voisin de Clément-Bayard dénommé Coquerel avait installé en bordure de terrain une clôture en bois surmontée de tiges de fer pointues d’une longueur de seize mètres.
Par la suite, le ballon dirigeable de Clément-Bayard s’est heurté à ces tiges de fer et s’est dégonflé. Les juges ont reconnu un abus de droit de la part de Coquerel qui s’est vu condamné à la réparation du dommage causé par l’installation de ces tiges. Ainsi, il a été considéré que la faute a été commise dans l’intention de nuire au propriétaire voisin.
La reconnaissance du trouble anormal de voisinage
La jurisprudence a ainsi reconnu depuis longtemps le caractère potentiellement abusif de l’usage du droit de propriété. Dans la continuité, la doctrine a reconnu l’existence de troubles anormaux de voisinage, dont la notion est plus large que celle de faute.
Ainsi, le régime n’est pas celui du régime général de la responsabilité pour faute de l’ex-article 1382 du Code Civil (désormais article 1240 du Code Civil). Le principe a été posé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 19 novembre 1986 d’après lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Ce trouble peut être de toute nature : visuel, sonore, olfactif, voire même esthétique.
Les conditions à remplir
Deux conditions doivent être remplies pour que le caractère anormal du trouble de voisinage soit reconnu.
D’une part, le trouble doit être persistant ou récurrent (2è Civ., 5 février 2004) ; d’autre part, le trouble doit être grave dans les circonstances considérées de temps ou de lieu (3è Civ., 14 janvier 2004). La qualification de trouble anormal de voisinage relève de l’appréciation souveraine des juges. Ces derniers peuvent en outre imposer à l’auteur du trouble les mesures destinées à le faire cesser.
Le respect ou le non-respect de la réglementation : des circonstances sans effet sur la qualification de trouble anormal de voisinage
Peu importe que l’auteur du trouble ait respecté ou n’ait pas respecté la réglementation en vigueur. Autrement dit, la circonstance que l’auteur du trouble ne soit pas allé à l’encontre de la réglementation ne l’exonère pas de sa responsabilité en cas de qualification de trouble anormal de voisinage par les juges.
Ainsi, un trouble anormal a pu être reconnu du fait de la construction d’un immeuble de grande hauteur ayant pour effet d’empêcher la lumière d’une villa voisine de passer (3è Civ., 8 juillet 1972) ; autre exemple, il a été reconnu que la vue directe et plongeante chez un voisin du fait d’une construction à étage avait pour effet de priver la jouissance du droit de propriété de ce voisin (3è Civ., 7 février 2007).
A l’inverse, le non-respect d’une réglementation n’entraîne pas nécessairement la reconnaissance d’un trouble anormal de voisinage.