Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 avril 2022, l’État français obtient l’annulation de la marque France.com en ce qu’elle porte atteinte à ses droits antérieurs. La marque appartient à une société de droit américain. Elle est enregistrée en France pour diverses classes de produits dont des vêtements, chaussures, chapeaux, des services de banque et d’assurance, de télécommunication ou encore de transports. L’État français estime avoir un droit sur l’appellation France. Il demande et obtient en cassation l’annulation de la marque et le transfert à son profit du nom de domaine france.com.
Droit de l’État français sur l’appellation France
L’article L 711-3 du Code de propriété intellectuelle dispose qu’un signe ne peut pas être adopté comme marque lorsqu’il porte atteinte à des droits antérieurs.
Parmi les droits antérieurs susceptibles de faire obstacle à l’enregistrement d’une marque, le texte vise notamment :
– La dénomination sociale, le nom commercial ou l’enseigne, connus sur l’ensemble du territoire dès lors qu’un risque de confusion est possible ;
– Les droits de la personnalité comme le nom de famille ou le droit à l’image.
La société détentrice de France.com soutient en revanche que rien ne semble a priori justifier qu’un État puisse revendiquer un droit sur son nom. Toutefois, dans l’arrêt en date du 20 avril 2022, les juges de la Chambre commerciale de la Cour de cassation estiment que l’énumération du Code de la propriété intellectuelle n’est pas limitative. De même, le droit européen affirme qu’un État membre peut interdire l’enregistrement d’une marque en vertu d’un droit antérieur, notamment d’un droit au nom ou d’un droit à l’image.
La cour considère ainsi que l’appellation France constitue un élément d’identité de l’État français. Elle fait référence à son territoire géographique, son identité économique, historique, politique et culturelle. À ce titre, la marque France.com peut créer une confusion dans l’esprit du public. D’autant que le suffixe .com pourrait laisser penser que les produits ou services distribués émanent d’un service officiel de l’État. Cela justifie pleinement de revendiquer un droit antérieur au sens du Code de la propriété intellectuelle.
Pas de forclusion par tolérance
Selon l’article L 716-2-8 du Code de propriété intellectuelle, le titulaire d’un droit antérieur ne peut pas agir en nullité d’une marque postérieure lorsqu’elle est déposée de bonne foi et qu’il en a toléré l’usage pendant 5 ans. C’est sur ce motif que la société soulève la forclusion de l’action introduite par l’État français, plus de 5 ans après l’enregistrement de la marque.
Mais la forclusion par tolérance suppose de démontrer, d’une part, un usage honnête et continu de la marque depuis plus de 5 ans, et d’autre part, la connaissance de la marque dans ce délai par celui qui se prévaut d’un droit antérieur. Le seul enregistrement de la marque ne saurait en effet constituer le point de départ de la forclusion. Selon une jurisprudence constante, c’est donc à celui qui invoque la forclusion par tolérance d’en apporter la preuve.
Transfert du nom de domaine
Pour s’opposer au transfert du nom de domaine à l’État français, le dépositaire de France.com invoque un droit de propriété garanti par l’article 1er de la CEDH. Selon les juges, le titulaire d’un nom de domaine peut se prévaloir d’un intérêt patrimonial protégé par la Convention lorsque les prérogatives dont il se prévaut sont protégées par le droit interne applicable. Or, l’usage d’un nom de domaine ne peut faire l’objet d’une protection en droit interne qu’à la condition qu’il ne porte pas atteinte aux droits des tiers.
En l’espèce, l’exploitation du nom de domaine semble litigieuse dès lors que son titulaire laisse planer l’apparente crédibilité d’un service de l’État français ou à un tiers autorisé. Il s’en sert comme argument commercial dans la vente de produits ou services, puis dans l’objectif de revendre le nom de domaine. Dès lors, le transfert du nom de domaine à l’État français semble parfaitement justifié. D’ailleurs, l’argument juridique du droit absolu de jouir et de disposer des choses en vertu des articles 544 et 545 du Code civil est inopérant. Le transfert du nom de domaine n’est pas une atteinte à son droit de propriété.
Image : Nathana Rebouças on Unsplash