En quelques années, le recours régulier aux moyens de télécommunication audiovisuelle s’est ancré dans nos pratiques quotidiennes. Face aux restrictions induites par la crise sanitaire, la visioconférence est devenue une solution évidente pour mener entretiens et réunions, en entreprise comme dans la vie privée. Après une période de latence judiciaire, l’épidémie de la covid-19 a nécessité une adaptation des pratiques pénales en juridiction.
L’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 relative à l’adaptation des règles applicables aux juridictions statuant en matière pénale a ainsi favorisé le recours régulier aux moyens de télécommunication audiovisuelle. Cet aménagement pose problème du point de vue de la garantie des libertés et de la conformité à la constitution.
Recours à la télécommunication audiovisuelle devant les juridictions
Par une ordonnance en date du 25 mars 2020, le Gouvernement a autorisé le recours à la visioconférence en matière judiciaire. Le but était de contourner les difficultés posées par la crise sanitaire. Le 18 novembre 2020, une nouvelle ordonnance a étendu l’utilisation des télécommunications audiovisuelles devant l’ensemble des juridictions pénales. Le texte permettait au juge des libertés et de la détention d’y avoir recours sans l’accord de la personne entendue. Le législateur a d’ailleurs souhaité aller plus loin avec le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique. Ce dernier texte propose la même solution dans le but d’éviter l’extraction des détenus. En effet, cela permet de faciliter et d’accélérer les audiences.
Soucieux du risque de dérives plusieurs syndicats et associations ont déposé un référé-liberté contre l’ordonnance du 18 novembre 2020. Il s’agit du syndicat des avocats de France, celui de la magistrature et de l’association pour la défense des droits des détenus. Avocats et magistrats rappellent que le fait de comparaître physiquement devant les instances judiciaires assure :
- le respect des droits de la défense
- un procès équitable.
À l’inverse, le recours à la comparution par visioconférence est vu comme une contrainte au fonctionnement de la justice.
Conformité face à la constitution
La question de la constitutionnalité du recours à la visioconférence a été soulevée plusieurs fois. Cette audition à distance, garantit-elle le respect des droits de la défense et le droit pour tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétences et de procédures ? Le Conseil constitutionnel doit ainsi arbitrer entre le maintien du fonctionnement de la justice dans un contexte d’épidémie et la protection des droits de la défense.
Dans une décision du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel reconnaît la possibilité d’avoir recours à la visioconférence sans le consentement des parties devant les juridictions pénales autres que criminelles. Il considère que cette adaptation des procédures pénales :
- trouve son sens dans le maintien d’une valeur constitutionnelle de protection de la santé dans un contexte de crise sanitaire,
- tout en répondant au principe de continuité du fonctionnement de la justice.
Toutefois, le Conseil rappelle qu’il faut veiller aux garanties du procès. Le contrôle du recours à la télécommunication doit être renforcé afin de préserver autant que possible la présentation physique devant un juge et les garanties que cela présente pour la défense.
Position du Conseil d’État
Par une décision du 27 novembre 2020, le Conseil d’État suspend la possibilité de recourir à la visioconférence lors des audiences devant les cours d’assises et les cours criminelles. En effet, l’oralité des débats devant le juge tient une place spécifique dans les droits de la défense, notamment devant la gravité des peines encourues.
Saisi d’une nouvelle demande, le juge des référés du Conseil d’État suspend l’article 2 de l’ordonnance dans une décision du 12 février 2021. Le juge rappelle son attachement au procès équitable et aux droits des personnes physiques parties au procès devant les juridictions pénales. La faculté de pouvoir avoir recours à la visioconférence sans qu’il soit subordonné à des conditions légales ou encadrer par des critères précis porte une atteinte grave aux droits de la défense. L’adaptation du fonctionnement de la justice est certes nécessaire durant la crise sanitaire. Mais ces mesures doivent rester exceptionnelles et ne pas être décidées arbitrairement. Un juste équilibre doit être maintenu entre la sécurité sanitaire et la garantie des libertés.