La France a-t-elle fait un usage abusif du recours à la force ? C’est sur ce point que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie dans une affaire mettant en cause une interpellation par une unité d’élite de la police durant laquelle les forces de l’ordre ont agi avec violence. Dans un arrêt en date du 30 avril 2020, la CEDH condamne la France pour manquement à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
Usage abusif de la force
Un ressortissant français, identifié dans une affaire comme l’auteur présumé de menaces de mort et de subornation de témoins, fait l’objet d’une interpellation à son domicile par le GIPN, groupe d’intervention de la police nationale. Par la suite, l’intéressé dépose plainte au motif qu’il a été victime de violences au cours de l’interpellation à son domicile en présence de sa famille et durant sa garde à vue. Il souhaite obtenir réparation du préjudice subi. Les circonstances prêtent à confusion. L’interpellé déclare avoir agi en état de légitime défense, car il ne savait pas qu’il est face à des forces de police. La police affirme de son côté qu’il ne pouvait ignorer leur identité et les a contraints à faire usage de la force. L’interpellé saisit la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant des violences contraires à l’article 3 de la Convention, lequel prohibe la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Les certificats médicaux établis constatent les importantes blessures infligées au requérant, mais la Cour doit apprécier les circonstances de l’opération pour fonder son jugement.
Arbitrage entre intérêt général et droits fondamentaux
Selon la Cour, il faut apprécier la proportionnalité de l’intervention par rapport aux circonstances. En clair, l’intervention de l’unité d’élite était-elle justifiée ? Y avait-il lieu de penser que l’interpellé opposerait une résistance à l’arrestation pouvant ainsi provoquer des dommages ou faire disparaître des preuves ? L’article 3 n’interdit pas stricto sensu le recours à la force physique. En revanche, le texte interdit de soumettre quiconque à la torture ou à des traitements qui portent atteinte à la dignité humaine. Il faut donc habilement arbitrer entre l’intérêt général de la société et la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. En l’espèce, la CEDH estime que les moyens employés n’étaient pas absolument nécessaires à la mise en œuvre de l’interpellation et que l’usage de la force physique ne peut être justifié ni par les circonstances et ni par le comportement de l’intéressé.
Condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme
Les juges estiment que cette opération policière n’a pas été planifiée dans les règles et que les moyens employés n’étaient pas adaptés à la situation. Les violences qui en résultent ne peuvent donc en aucune manière trouver de justification. Dans cette affaire, d’autres interpellations sont préalablement réalisées par le GIPN avec l’accord du directeur départemental de la sécurité publique et du juge d’instruction. Les forces de police demandent ensuite l’assistance de l’unité du GIPN dans l’interpellation du requérant, alors compromis dans les mêmes faits. Mais cette décision est prise sans accord préalable. De même, la police ne procède à aucune vérification préliminaire des personnes présentes sur les lieux de l’intervention. Il en résulte une situation d’angoisse et d’humiliation injustifiée pour l’ensemble des membres de la famille du suspect alors présents. Ainsi, les juges estiment que les garanties propres à la mise en œuvre de l’intervention d’une unité spéciale ne sont pas respectées. Quant aux violences physiques et psychiques infligées au requérant, constatées par les certificats médicaux produits aux débats, elles doivent faire l’objet d’une réparation.
La Cour européenne des droits de l’homme conclut donc à une violation de l’article 3 de la Convention. Elle condamne la France à indemniser le demandeur en lui versant 2 803 € pour dommage matériel et 20 000 € pour dommage moral. Cette décision fait corps avec la jurisprudence classique de la CEDH sanctionnant les opérations policières brutales injustifiées.