Au début du mois de juin 2022, le Conseil d’Etat a rejeté les décrets du gouvernement rendant obligatoire l’utilisation des services en ligne pour les démarches des étrangers, notamment les demandes de titres de séjour. Tout du moins, les services en ligne ne peuvent être imposés que par des garanties.
L’obligation des démarches en ligne depuis 2021
Au printemps 2021, le gouvernement a publié une série de décrets et arrêtés rendant obligatoire le recours aux services en ligne pour les démarches des étrangers. Le décret de mars 2021 portait notamment sur le dépôt des demandes de titres de séjour et les arrêtés d’avril 2021 et mai 2021 se concentraient sur les demandes de droit d’asile des étrangers.
Dès le mois de mai 2021, la justice avait été saisie par six associations (la Ligue des droits de l’Homme, le Secours catholique, l’Unef, le Syndicat des avocats de France, la Cimade, le Gisti) pour un recours en annulation ainsi qu’un référé suspension. Ces associations dénonçaient notamment des dysfonctionnements pour les usagers qui ne parvenaient pas à réaliser leurs démarches en ligne et l’absence d’alternative acceptable pour les étrangers.
Le retoquage du Conseil d’Etat
Le 3 juin 2022, le Conseil d’Etat a publié sa décision et a donné raison aux associations tout en reconnaissant au gouvernement le droit de mettre en place une obligation de recours au téléservice, à condition d’y apporter des garanties. Ces garanties n’étant pas apportées en l’état actuel des choses, les démarches en ligne ne peuvent être rendues obligatoires pour le dépôt des demandes de titres de séjour ou demandes d’asile.
Démarches en ligne : la nécessité des garanties
Selon la décision du Conseil d’Etat, l’obligation de recours à un service en ligne ne peut être imposée par le gouvernement « que si l’accès normal des usagers au service public et l’exercice effectif de leurs droits sont garantis ». Pour le sujet particulier concernant le droit des étrangers, l’institution publique estime que les difficultés d’accès ou d’utilisation du service doivent être en prises en compte, de même que la nature de la démarche ainsi que sa complexité.
Accès aux services en ligne
Aujourd’hui, tous les usagers ne disposent pas d’un accès aux outils numériques nécessaires pour réaliser des démarches en ligne. Même si l’accès est garanti, certains d’entre eux peuvent rencontrer des difficultés lors de l’utilisation de l’outil, notamment les personnes qui ne maîtrisent pas les nouveaux outils numériques.
Pour rendre obligatoire le recours au téléservice, il est donc nécessaire que ces personnes puissent bénéficier d’un accompagnement approprié. Cette possibilité est actuellement garantie par les textes de loi mais se heurte à une autre difficulté plus spécifique.
Existence d’une alternative
Malgré un accompagnement possible pour les personnes ne bénéficiant pas d’un accès nécessaire ou rencontrant des difficultés d’utilisation, un autre problème peut se poser : l’impossibilité d’effectuer les démarches en ligne en raison d’une situation complexe ou d’un cas particulier. Lors de certaines demandes, il est nécessaire de prendre en compte les caractéristiques et les situations particulières des étrangers qui souhaitent faire une demande de titre de séjour. Or, les outils de téléservice ne sont parfois pas suffisamment avancés pour prendre en compte ces spécificités, créant ainsi le risque pour des étrangers ayant effectué leurs démarches à temps de se retrouver malgré tout sans-papiers et de devoir quitter le territoire.
Pour pallier à ce problème, l’administration doit pourvoir une solution de substitution qui n’existe pas actuellement. Pour cette raison, le Conseil d’Etat a déclaré l’impossibilité du recours obligatoire aux démarches en ligne et demandé au gouvernement de compléter les textes concernés pour prévoir l’existence de cette alternative pour les demandeurs. En attendant la publication d’un nouveau texte, le gouvernement est dans l’obligation de permettre le dépôt d’une demande selon une autre modalité si la situation exceptionnelle du demandeur empêche l’enregistrement de la demande.
Une décision rétroactive
Dans sa décision, le Conseil d’Etat a également répondu aux questions du tribunal administratif de Montreuil et du tribunal administratif de Versailles concernant des demandes d’annulation de décisions préfectorales suite à l’obligation pour des étrangers d’avoir recours à un téléservice.
Le Conseil d’Etat a précisé que les préfets ne pouvaient imposer une obligation de recours à un téléservice pour les demandes de titres de séjour avant la publication du premier décret en mars 2021. L’institution publique a également noté qu’il était de la responsabilité des préfets d’assurer la disponibilité des services en ligne (qu’il s’agisse des demandes de dépôt ou des plateformes gouvernementales de prise de rendez-vous) et de proposer une alternative en cas de mauvais fonctionnement des outils.
En attendant que le gouvernement ne propose des solutions alternatives, les étrangers ne pourront se voir imposer le recours à des services en ligne pour effectuer leurs démarches administratives.
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