Sollicités durant l’état d’urgence sanitaire lié au Coronavirus pour la suspension des loyers commerciaux ou professionnels, certains bailleurs se trouvent désormais confrontés aux difficultés financières des entreprises locataires et à la menace d’impayés sur les prochaines échéances de loyers. Pour assurer la pérennité de leur entreprise, nombre de preneurs commerciaux seront contraints de négocier à la baisse leurs loyers. Mais le bailleur a-t-il, dans ce contexte, l’obligation d’accéder à leur demande ?
Le principe de la révision triennale
Le prix du loyer est fixé d’un commun accord entre le bailleur et le locataire lors de la signature du contrat de bail initial. Son montant est en principe calculé à partir de la valeur locative des locaux. Le bailleur peut néanmoins soumettre au locataire une modification du prix du loyer à l’occasion du renouvellement du bail commercial sous réserve de respecter une procédure particulière.
En cours de bail, la variation du loyer peut s’opérer à la hausse comme à la baisse par la mise en jeu de la révision triennale (dite aussi « révision légale ») rigoureusement encadrée par les dispositions du Code de commerce. Le locataire a ainsi la possibilité, dans la cadre de cette révision triennale, de solliciter auprès du bailleur une réduction du prix du loyer à la condition, toutefois, qu’un délai de 3 ans se soit écoulé depuis son entrée en jouissance lorsqu’il s’agit du bail initial ou bien à compter de la date d’effet du bail renouvelé ou de la dernière révision de loyer. En outre, pour être valable, la demande en révision du preneur à bail exige le respect d’un certain formalisme. Sa notification en bonne et due forme déterminera alors la date de prise d’effet du loyer révisé.
La révision légale est, sauf exception, plafonnée. Ainsi, en l’absence d’accord entre le bailleur et le locataire sur le montant de la réduction, le prix du loyer révisé ne pourra excéder la variation de l’indice de référence applicable, selon le cas, en matière de baux commerciaux ou de baux professionnels.
En marge de la révision triennale, le bail commercial inclut parfois une clause d’indexation, également appelée « clause d’échelle mobile ». Ce dispositif contractuel, cumulable avec la révision légale, conduit à faire évoluer le loyer de façon automatique selon une périodicité librement convenue entre les parties. Le loyer est, dans ce cas, indexé sur la variation d’un indice de référence précisé dans le contrat de bail.
Impact de la crise sanitaire sur la révision des loyers
Au vu du contexte économique incertain, les entreprises les plus impactées par la crise sanitaire pourraient être tentées de négocier la révision de leurs loyers à la baisse. A ce titre, plusieurs fondements juridiques pourraient être invoqués à l’appui de leur demande, parmi lesquels se trouvent :
- la force majeure (article 1218 du Code civil) du fait, par exemple, de l’adoption de certaines mesures par le Gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie (telles que la fermeture temporaire des commerces) susceptibles de rendre l’exécution du contrat de bail impossible pour le locataire comme pour le bailleur et de justifier ainsi la suspension temporaire des loyers. Pour mémoire, les bailleurs qui renonceraient spontanément à percevoir les loyers entre le 15 avril et le 31 décembre 2020 peuvent, sous conditions, bénéficier d’un régime fiscal spécifique de non-imposition des loyers abandonnés ;
- l’imprévision (article 1195 du Code civil) en raison d’un changement de circonstances, en l’occurrence la survenance de la pandémie, qui ne pouvait être prévisible au moment de la conclusion du contrat de bail et qui rendrait l’exécution de celui-ci excessivement onéreuse pour l’un des cocontractants ;
- la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de 10 % de la valeur locative (article L. 145-38 al. 3 du Code de commerce). La dégradation des facteurs locaux de commercialité pourrait s’exprimer, entre autres, par une baisse significative de fréquentation de certains quartiers par suite de fermetures définitives de commerces, d’augmentation du nombre de bureaux vacants et de diminution importante du nombre de salariés dans les zones concernées. Une chute conséquente de la valeur locative des locaux loués par le preneur justifierait alors une demande en diminution des loyers lors de la révision triennale du bail ou de son renouvellement.
Quelle que soit la situation, il demeure bien évidemment préférable de privilégier un accord amiable. Mais en cas d’échec des négociations, le bailleur conserve, sauf mesures exceptionnelles, la faculté d’user de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers. Le juge pourra également être saisi par l’une ou l’autre des parties aux fins d’appréciation des fondements juridiques invoqués et de révision du loyer ou de résiliation du bail.