Une tendance jurisprudentielle semble désormais se dégager concernant le sort des loyers commerciaux dus pendant la période de fermeture administrative imposée par la Covid-19. Les dernières décisions judiciaires se fondent, en effet, sur le moyen tiré de la perte de la chose louée pour accorder le remboursement des loyers versés par les preneurs alors qu’ils se trouvaient dans l’impossibilité d’exploiter leurs fonds de commerce dans les lieux pris en location.
Pourquoi retenir le fondement de la perte partielle de la chose louée ?
Plusieurs décisions judiciaires confirment désormais que la perte partielle de la chose louée constitue, pour les preneurs placés un temps dans l’impossibilité d’exploiter leurs locaux commerciaux en raison de la pandémie de Covid-19, un argument de défense valable pour s’exonérer du paiement des loyers exigés malgré tout par les bailleurs.
Aux termes de l’article 1722 du Code civil, la loi prévoit la résiliation du bail en cas de destruction totale des biens loués. Leur destruction partielle, entraînant une diminution sensible de leur usage, peut en revanche donner lieu à une baisse du prix du loyer. La notion de perte de la chose louée s’entend, par ailleurs, de toutes les circonstances pouvant entraver, de manière définitive ou temporaire, l’usage du bien. La jurisprudence admet ainsi que la perte de la chose louée puisse résulter d’une privation de jouissance d’origine matérielle mais également juridique, ce qui peut être le cas lorsque le preneur se trouve empêché d’accéder au bien loué en raison d’une décision administrative.
Toutefois, la crise sanitaire est venue quelque peu modifier les rapports entre bailleurs et preneurs. Pendant la période de l’état d’urgence sanitaire, des mesures gouvernementales ont en effet interdit au public l’accès à certains établissements et décidé de manière exceptionnelle la fermeture administrative de commerces jugés alors non essentiels. Les preneurs contraints de fermer leurs commerces n’ont, par conséquent, pu exercer leur activité dans les locaux pris à bail pour la période comprise entre le 15 mars et le 11 mai 2020.
Bien que prévue pour une durée limitée, l’impossibilité juridique d’user de la chose louée conformément à sa destination pendant cette période n’en est pas moins absolue. Il s’agit donc bien, pour certains juges du fonds, d’une perte partielle de la chose louée au sens de l’article 1722 du Code civil pouvant conduire à une diminution du prix, c’est-à-dire d’une dispense de paiement du loyer.
De fait, à l’instar de la Cour d’appel de Paris à travers ses décisions des 30 mars et 21 avril 2022, l’actuelle tendance jurisprudentielle majoritaire accepte la perte partielle de la chose louée comme fondement à la demande des preneurs en exonération des loyers concernés par la période de fermeture administrative.
Quelles sont les conséquences de la perte de la chose louée pour les bailleurs ?
En soutien aux preneurs affectés par la fermeture administrative imposée par la pandémie, certains bailleurs ont accepté de renoncer partiellement ou en totalité au versement des loyers dus pendant la période concernée. D’autres ont proposé un report ou un échelonnement de ces sommes après reprise de leur activité. Certains, enfin, ont préféré poursuivre en justice les preneurs dans le but d’obtenir le paiement intégral de leurs loyers.
Les dernières décisions jurisprudentielles admettant l’argument de la perte de la chose louée pour justifier du non-paiement de tout ou partie des loyers accordent, par conséquent, aux preneurs une dispense de loyers pendant la période de confinement.
Or, l’impact de ces décisions sur les loyers perçus pendant les périodes de fermeture administrative n’est pas anodin. Pour les bailleurs qui sont parvenus à contraindre les preneurs au paiement de leurs loyers et ceux qui ont accepté de concéder quelques aménagements en vue du paiement des sommes dues, ces décisions représentent une réelle menace. Une exonération de loyers obligerait, en effet, les bailleurs au remboursement des sommes alors indûment perçues auprès des preneurs impactés par la fermeture administrative des commerces non essentiels. Elle ouvrirait ainsi la porte à une série d’actions en justice visant au remboursement des loyers versés en dépit d’une perte partielle de la chose louée.
La position de la Cour de cassation sur la question de savoir si la fermeture administrative imposée lors du premier confinement aux commerces non essentiels constitue ou non une perte partielle de la chose louée sera de fait primordial. Dans cette attente, il est vivement recommandé aux bailleurs concernés par la perception de tels loyers litigieux de procéder à un état des lieux de leur situation et de faire réaliser, si besoin, une évaluation de leur risque par un professionnel des baux commerciaux.
Image :Photo de Edward Howell on Unsplash